Christophe Plantier
Introduction à l'œuvre peint de Christophe Plantier
Si l’art consiste entre autres à s’appuyer sur ce que l’on ignore du fait d’en être passé maître, Christophe Plantier est de ces grands artistes qui n’ont plus à se soucier de la technique, elle lui est un appui devenu naturel - et s’envole son art.
Lorsque, il y a plus de vingt ans, Plantier se met à la peinture, il propose déjà des paysages, des situations, des personnages, dont l’intensité intérieure conduit à rêver l’idée de ce qu’il faut sentir derrière les images du monde. Telle femme nourrissant son enfant, un bateau amarré doucement roulé par la houle, la profondeur énigmatique d’ une rue silencieuse et calme, tout y parle d’autre chose encore que de ce qui est là. Un on ne sait quoi qui va devenir comme une focale ultime de l’œuvre.
Après bien des années à l’étroit dans sa maison puis dans un petit appartement de Nice, Christophe Plantier peut enfin, dans l’atelier où il peint maintenant avec deux amis, s’abandonner à la pleine mesure de l’appel.
Ses tableaux contemporains sont adossés à la vie humaine, trop humaine, des femmes et des hommes. Une vie vulnérable, sans cesse au bord de s’arrêter, empêchée par les murs dont, au creux de sa misère, est si abondamment capable l’homme. Mais le miracle est que Plantier fait de ces murs le sol de notre liberté. A partir des traces tour à tour inscrites et creusées sur la pierre, qui témoignent d’un combat, d’une douleur ou d’un baiser, Plantier fait la vie même. Et si ses toiles nous conduisent alors sur des chemins qui au premier regard ne mènent nulle part, c’est parce qu’ils conduisent à la racine de tout chemin possible, à l’homme même, épris de liberté et de sens, comme du désir de les laisser jaillir.
Loin de nous éloigner de nous-mêmes, l’œuvre non figurative de Plantier renvoie sans conscession mais par un accompagnement tranquille et bienveillant à notre imagination, à la recollection de nos mémoires, de nos amours, de nos désirs et de nos luttes, pour nos futurs possibles. Avec et grâce au peintre, le temps d’enfin les voir, les murs que les humains érigent perdent leur fonction de frontières et deviennent les appuis d’un élan sans limites, celui du sens et de son expression, de l’affranchissement eu égard à toute malheureuse sujétion - on y respire !
Sur le fond de toute douleur enfouie, ou comme dit Kojève, sur le « grand fond de silence de l’homme », Christophe Plantier libère par sa peinture l’espace merveilleusement paradoxal de la source révélatrice. Souveraine en son allure non figurative, la peinture de Plantier l’est à l’instar de ce que dit Kojève de l’œuvre de son oncle dans Les peintures concrètes de Kandinsky : il y va là du plus concret de l’art, car il y va de l’homme même.
Contempler les toiles de Plantier est un bonheur immense, c’est ressentir la capacité de voler. Si, parce que c’est leur lot naturel, les oiseaux ne savent pas qu’ils volent, l’homme est la capacité même de s’émerveiller de voler quand il se surprend à le faire. Il faut remercier Christophe Plantier de nous apprendre à déployer des ailes que nous avons, et que sans lui, sans doute aucun, nous n’aurions jamais si bien sues.
Laurent Bibard (philosophe)


